LEGISLATION ET INSTITUTIONS

Date de publication
29/02/2024 - 22:44

Ce sujet nous amène à analyser le cœur même du système colonial français.

La colonisation définie généralement comme l’occupation d’un territoire, sa domination politique et son exploitation économique par un autre Etat a revêtu différentes formes au fil des siècles selon l’Etat colonisateur.  

L’utilisation de la force a abouti souvent à l’extermination pure et simple des peuples colonisés comme cela a été le cas en Amérique du Nord, en Australie et en Nouvelle Zélande et leur remplacement par le peuple du colonisateur et en l’occurrence les européens.

Le système colonial français a d’abord utilisé la force brute avant d’avoir recours progressivement à la créolisation du dominé en l’obligeant à adopter ses goûts et habitudes et donc son mode de pensée raciste, démarche qui aboutit à l’acceptation du colonisé de sa condition d’être inférieur.

L’une des armes utilisées par la France pour perpétrer son déni d’humanité a été bien évidemment l’arme juridique qui a consisté à interdire au peuple coloniser de légiférer et de s’instituer en lui imposant l’assimilation juridique.

 I) Modes de domination du colonisateur français :  l’extermination et la légalisation de la servitude

Quand ils ont décidé d’occuper le territoire de la Martinique et d’en faire une colonie. L’état français, qui entendait soumettre le peuple autochtone, le réduire en esclavage, s’est heurté à une opposition farouche de ce peuple. Pour s’emparer de tout le territoire il a pris la décision d’exterminer purement et simplement le peuple appelé les kalinas qui y vivait. C’est ainsi aux termes de plusieurs batailles l’armée française parvint à quasiment génocider ce peuple.

S’agissant des africains déportés et réduit en esclavage pour mettre en valeur la colonie, la France après avoir fait usage de la force et de la torture pour les dominer, décida d’avoir recours à la loi pour légaliser son système de domination sans partage sur le territoire colonisé.

C’est ainsi qu’en 1685 apparu dans la législation française un monstre juridique, inconnu de bien des pays européens qui se prétendent civilisés : le code noir édicté par un ministre français, Colbert.

Cette législation particulière est une véritable codification de la servitude. Elle institue plusieurs catégories de dominés : l’esclave, le meuble, l’affranchi.

Dans ce système l’esclave se définit par sa couleur de peau. On est esclave parce que noir.

Cet esclave noir n’est pas un être humain c’est une chose, et plus précisément un meuble. En effet, le code noir le déclare, en son article 44 « meuble et donc transmissible, cessible et exploitable à l’infini ».

La catégorie d’affranchi est l’esclave noir qui a été libéré des chaines physiques. On ne peut plus lui mettre les chaines au pied, ni l’entraver ni le fouetter, mais le colon lui impose les droits et obligation du maitre. Il demeure tenu de respecter toutes les décisions et règles de droit que le colon a édictées. Il est incapable de créer du droit, des institutions. Il demeure une créature du colon qui lui dénie ainsi la pleine et entière personnalité juridique humaine.

II) L’assimilation juridique, nouvelle arme de domination

L’abolition de l’esclavage ne devait pas permettre au peuple dominé qui constituait la majorité de la population martiniquaise d’accéder à l’une des libertés fondamentales qui s’applique à toutes les sociétés humaines, celle de légiférer et de s’instituer.

En effet, qu’est ce qui caractérise une société humaine sinon sa propension à créer du droit pour se réguler, régler les relations entre les êtres humains qui la composent et ainsi créer des institutions.

Légiférer et s’instituer est une fonction vitale pour toute société.

Or le colonisateur français en imposant au peuple martiniquais l’assimilation juridique qui consiste à lui appliquer l’ensemble du droit français et ses institutions à ce peuple a entendu interdire l’avènement de la société martiniquaise.

La France a institué en Martinique des collectivités locales strictement règlementées par la législation française dépourvues de tout pouvoir de légiférer c’est-à-dire de faire des lois comme toute société humaine libre dans le prolongement de sa culture et de ses usages propres.

Dans sa constitution, le législateur français prévoit des adaptations pour tenir compte des caractéristiques des territoires mais ces adaptations sont très encadrées et ne doivent pas concerner des questions essentielles et fondamentales pour toute société à savoir : l’état des personnes, la monnaie, les droits civiques la nationalité etc…

Dénués de pouvoir législatif, nous ne sommes que des applicateurs du droit français. Nous ne pouvons prendre aucun texte pour régler selon nos propres cultures les besoins de notre société.

Nous constatons ainsi qu’à ce jour c’est le statut d’affranchi du code noir qui nous est appliqué.

Cette privation du droit de légiférer est donc un déni d’humanité qui entend nous priver de notre droit à l’existence de notre société et de notre droit à avoir une Histoire. La seule Histoire qui nous est imposée est celle du colon qui nous assigne un rôle infra humain d’objet faisant partie du patrimoine de la France

L’occupation de nos espaces mentaux grâce à cette assimilation juridique permet la perduration d’un système colonial, d’un système éducatif purement français, d’une administration dirigée par des cadres blancs et d’une occupation militaire par des militaires blancs.

Cependant, ce système de déni d’humanité de notre peuple n’a pu empêcher l’édification d’une société martiniquaise qui bien qu’occultée, existe et exige

aujourd’hui d’être réparée des crimes commis par les colons qui portent atteinte à leur humanité.

Dans un livre intitulé « A DIEU ! LE CODE NOIR !» Dominique Monotuka constate très justement que « l’activité consistant à créer du droit est une dimension consubstantielle aux êtres humains vivants, ensemble dont aucune autorité temporelle ne saurait les en défaire.

III Sortir de cette assimilation juridique pour décoloniser la Martinique

Mettre un terme au principe mortifère et attentatoire aux droits des martiniquais qu’est l’assimilation juridique revient pour la France à reconnaitre que les martiniquais sont des personnes juridiques humaines qui forme une société et qui ont droit comme toutes les autres sociétés de légiférer et de se donner des institutions.

Notre société en créant sa propre législation et ses institutions se libérerait de l’emprise du système juridique français.

La bataille contre l’assimilation juridique, prolongement du statut d’affranchi du code noir, est assurément une bataille que nous menons au titre de la réparation car nous avons des instruments juridiques pour le faire.

En effet le principe d’assimilation est un principe suis généris d’un Etat colonisateur qui tient, par le biais d’un déni d’humanité criminel, à maintenir sa domination, ce qui ne l’empêche pas d’ailleurs de recourir à la violence contre ceux qui contestent cet ordre colonial.

Ce principe d’assimilation ne figure nulle part dans la constitution de la France qui sait bien qu’il est contraire à deux autres principes constitutionnels d’égalité et d’identité qui eux auraient dû l’amener à reconnaitre notre droit de personne juridique humaine et partant de notre droit de nous instituer et de légiférer.

Le principe d’égalité veut nous ayons droit, comme tout peuple le fait, de créer notre propre législation et de nous instituer selon les us et coutumes résultant de notre société martiniquaise.

Le droit de légiférer et de nous instituer selon les propres règles issues de notre société, est un pilier de notre droit à réparation des lors que l’assimilation qui est un déni d’humanité, constitue tout comme la réduction en esclavage un crime contre l’humanité.

Ce crime qui nous empêche de manifester notre société condamne notre peuple à vivre dans la peur, l’ignorance et souvent l’incompréhension des règles de droit crées par le colon, est particulièrement lourd de conséquences néfastes pour notre peuple soumis tour à tour à la torture du fouet puis des textes.

En effet, le système français a fait de nous des êtres déboussolés en état de sidération permanente, avec des comportements schizophréniques en raison d’une législation et d’institutions dans lesquelles nous ne reconnaissons pas et qui souvent ne sont pas en adéquation avec ce que nous vivons en tant que membres d’une société martiniquaise non encore instituée mais bien réelle.

Il est donc fondamental que nous soyons enfin réparées de ce crime majeur du colonialisme français.

 

C. DUHAMEL

LE 21 février 2023

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